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Petruskayart
18 juin 2013

Florilège hétéroclite et thématique peinant à former pensée

salut les copains

 

Depuis un petit temps, je m'interroge pas mal sur le langage, l'utilisation, la manipulation qu'on peut en faire, la souillure qu'on peut lui imprimer, la création de nouveaux mots pour de nouvelles idées, son implication quant à la création d'une pensée, son influence sur les idées qui peuvent nous venir et réciproquement l'influence de nos idées sur sa construction etc... 

 

Tout ça est venu quand une de mes anciennes profs m'a fait découvrir Celan (écrivain juif ayant survécu à la Shoah pour ceux qui ne connaissent pas). Je vous redonne directement une partie de son mail : 

 

"il écrit en langue allemande, comme le dit Blanchot "à travers laquelle (cette langue) la mort vint sur lui, sur ses proches, sur les millions de Juifs et de non-Juifs, évènement sans réponse".

>  

> A ce sujet Celan dit: Accessible, proche et non perdue, restait, au milieu de tout ce qu'il avait fallu perdre, cette seule chose: la langue. Elle, la langue, restait non perdue, oui, en dépit de tout. Mais il lui fallut alors passer par ses propres absences de réponse, passer par un terrible mutisme, passer par les mille épaisses ténèbres d'une parole meurtrière. Elle est passée sans se donner de mots pour ce qui avait eu lieu. Mais elle passa par ce lieu de l'Evénement. Passa et put à nouveau revenir au jour, enrichie de tout cela. C'est dans ce langage que, durant ces années et les années d'après, j'ai essayé d'écrire des poèmes: pour parler, pour m'orienter et apprendre où je me trouvais et où il me fallait aller pour que quelque réalité s'ébauchât pour moi. C'était, nous le voyons, évènement, mouvement, cheminement, c'était l'essai pour gagner une direction.

 

Après elle me donnait un poème de Celan (plus tard elle me disait qu'elle trouvait que, d'une certaine manière, ce poème parlait aussi de l'acteur) : 

 

 

 

Parle, toi aussi,

> > parle le dernier à parler,

> > dis ton dire.

> > 

> > 

> > Parle - 

> > Cependant ne sépare pas du Oui le Non.

> > Donne à ta parole aussi le sens:

> > lui donnant l'ombre.

> > 

> > 

> > Donne-lui assez d'ombre,

> > donne-lui autant d'ombre

> > qu'autour de toi tu en sais répandue entre

> > Minuit Midi Minuit

> > 

> > 

> > Regarde tout autour:

> > vois comme cela devient vivant à la ronde -

> > Dans la mort! Vivant!

> > Dit vrai, qui parle d'ombre.

> > 

> > 

> > Vois comme se rétrécit le lieu où tu te tiens:

> > Où veux-tu aller à présent, toi en défaut d'ombre, où aller?

> > Monte. En tâtonnant, monte.

> > Plus mince, plus méconnaissable, plus fin!

> > C'est ce que tu deviens, plus fin: un fil, 

> > le long duquel elle veut descendre, l'étoile:

> > pour en bas nager, tout en bas,

> > là où elle se voit

> > scintiller: dans le mouvement de houle 

> > des mots qui toujours vont.

 

 

Après, j'ai lu ça dans un autre livre qu'elle m'a prêté (oui, c'est une femme formidable) : Le Dernier à Parler (un essai poétique de Maurice Blanchot sur Celan, et en particulier sur le poème que vous venez de lire) : 

 

Ce blanc, ces arrêts, ces silences ne st pas des pauses ou des intervalles permettant la respiration de la lecture, mais appartiennent à la même rigueur, celle qui n'autorise que peu de relâchement, une rigueur non verbale qui ne serait pas destinée à porter sens, comme si le vide était moins un manque qu'une saturation, un vide saturé de vide. 

 

Et puis j'ai aussi découvert grâce à elle la poésie de Beckett, qui est soutenue par la même question : comment écrire après "tout ça"? 

Et récemment, je lisais une nouvelle de Zweig, Le Bouquiniste Mendel, et en intro, il y avait sa lettre posthume, écrite juste avant de se suicider avec sa femme. En voilà un extrait :

 

 

"Avant de quitter la vie de ma propre volonté et avec ma lucidité, j'éprouve le besoin de remplir un dernier devoir : adresser de profonds remerciements au Brésil, ce merveilleux pays qui m'a procuré, ainsi qu'à mon travail, un repos si amical et si hospitalier. De jour en jour, j'ai appris à l'aimer davantage et nulle part ailleurs je n'aurais préféré édifier une nouvelle existence, maintenant que le monde de mon langage a disparu pour moi et que ma patrie spirituelle, l'Europe, s'est détruite elle-même."

 

Et en ce moment je lis L'Elimination, un livre de Rithy Panh, rescapé du génocide Khmer rouge. Le bouquin est fait de ses souvenirs de l'époque, d'un entretien qu'il a eu avec Duch - sorte de Eichmann khmer -, et de ses réflexions présentes. 

 

"Moi : Monsieur Duch, qui adhère le mieux au marxisme?

Duch : Les illettrés.

Ceux qui ne lisent pas adhèrent "le mieux" au marxisme. Ils sont le peuple en armes. J'ajoute : ils obéissent.

Ceux qui lisent ont un accès aux mots, à l'histoire, à l'histoire des mots. Ils savent que le langage façonne, flatte, dissimule, vous tient. Celui qui lit lit dans le langage même : il perçoit la fausseté ; la cruauté ; la trahison. Il sait qu'un slogan est un slogan. Et il en a vu d'autres."

 

"Les khmers rouges forment le mot kamtech, que je demande à Duch de définir - il l'a écrit des milliers de fois ; et il l'utilise, aujourd'hui encore. Duch est clair : kamtech, c'est détruire puis effacer toute trace. Réduire en poussière. Le tribunal le traduit par "écraser", ce qui est évidemment très différent... La langue de tuerie est dans ce mot. Qu'il ne reste rien de la vie, et rien de la mort. Que la mort elle-même soit effacée."

 Et pour finir sur quelque chose de plus général, une petite citation de Karl Kraus : "Je ne maîtrise pas la langue, mais la langue me maîtrise complètement... J'entretiens avec elle une liaison qui me fait concevoir des pensées et elle peut faire de moi ce qu'elle veut. La langue est une maîtresse des pensées."

Voilà, ça me fait réflexionner quoi

 

bisou

 

lulu

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Commentaires
L
Je prends note!
F
Ha mais c'est vraiment style toutes ces réflexion.ons et exemples, je prends noté de pas mal de trucs que j'aimerais bien lire bientôt, blanchot à suis écrit des trucs mais un peu plus littéraire dans le livre à venir, surtout tout ce qui concerne le silences e l blancs en littérature. Mais cette question s'est trouvée aussi traiter par des auteurs du nouveau roman comme Sarraute qui développe toute la notion de tropismes pour exprimer la saturation de la langue et le fait que mettre du sens sur des choses ou des actions c'est déjà les mettre en péril, bref si sa t'intéresse elle a fait un super bouquin qui s'apelle l'usage de la parole où elle décrit des sensations, des sentiments ou des événements sent vraiment les nommer mais en faisant ressortir tout ce qui se cache derrière les mots !!! <br /> <br /> <br /> <br /> Voilà voilà je m'arrête là par crainte de devenir relou et un peu ennuyante mais c'est vraiment cool tout ça :))
Petruskayart
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